La réincarnation dans le Judaïsme et la Bible

La réincarnation dans le Judaïsme et la Bible

24 Jui, 2024

La note perdue du Christianisme est la doctrine de la Réincarnation. On l’enseignait sans aucun doute aux premiers jours de la foi, car elle était bien connue des Juifs d’où sortirent les fondateurs du Christianisme. Le plus grand des Pères de l’Église, Origène, croyait certainement à la doctrine. Il enseignait la préexistence de l’âme et sa transmigration. On aurait difficilement pu croire à ces doctrines sans accepter aussi la réincarnation, car l’âme ne peut guère transmigrer que sur terre. Elle était considérée comme une exilée du Paradis, et pour les péchés commis, elle devait évoluer et errer. Où pouvait-elle errer ? se demande-t-on. Certainement en dehors du Paradis, et le court laps de temps passé sur terre ne suffit pas à ses transmigrations. Mais une suite de réincarnations expliquera tous les problèmes de la vie, comme aussi la nécessité de la doctrine de l’exil, des transmigrations purificatoires de l’âme, de sa connaissance de Dieu et de son jugement avant la naissance, et d’autres dogmes courants parmi les juifs, et familiers à Jésus ainsi qu’à tous ceux qui, parmi les soixante-dix disciples, n’étaient pas complètement ignorants. Certains disciples étaient probablement très ignorants, comme les pêcheurs qui dépendaient de leurs aînés pour être instruits, mais tous n’étaient pas ainsi, car les œuvres étonnantes de l’époque étaient assez connues pour être signalées à la connaissance même d’Hérode. On ne peut accuser Paul d’ignorance, et il était avec Pierre et Jacques l’un de ceux qui non seulement connaissaient les idées nouvelles, mais étaient aussi parfaitement versés dans les anciennes. Celles-ci se trouvent dans l’Ancien Testament et les Commentaires, dans le Zohar, le Tamuld, et les autres ouvrages et dictons des Juifs qui tous étaient bâtis sur un ensemble de dogmes acceptés par le peuple et les Rabbins. C’est ainsi que les paroles de Jésus, de Paul et d’autres doivent être envisagées en tenant compte des doctrines bien connues, et acceptées à cette époque, si l’on veut éclairer certains passages, et montrer ce qui était tacitement admis. Jésus lui-même dit qu’il avait l’intention de soutenir et de défendre la loi, et cette loi n’était pas uniquement ce que contenait le livre que les théologiens chrétiens trouvèrent bon d’accepter, mais aussi les ouvrages d’autres autorités que tous connaissaient, sauf les plus ignorants. Aussi, quand nous voyons Hérode admettre que Jean ou Jésus était tel ou tel prophète ou grand homme du passé, nous savons qu’il se basait comme le peuple, sur la doctrine de la réincarnation ou du « retour sur terre », lorsqu’il conjecturait ce qu’avait pu être dans une vie antérieure un personnage fameux du moment. Telle qu’elle est donnée dans les Évangiles, comme un simple incident, il semble bien que la question était discutée couramment à la Cour, sans entrer dans de longs arguments philosophiques ; mais la doctrine était admise, puis on reconnaît des faits personnels pour l’amusement et la mise en garde du roi. Pour un souverain oriental, un tel avertissement devait avoir de la valeur, car à l’encontre d’un occidental, il devait en conclure qu’un grand personnage revenant sur terre possédait non seulement la connaissance mais aussi le pouvoir, et que si le peuple était à la recherche d’un nouvel aspirant au trône, l’idée d’un ancien prophète ou d’un roi du passé revenant habiter un nouveau corps sur terre, devrait mettre le comble à son enthousiasme. Les Chrétiens n’ont donc pas le droit de rejeter la doctrine de la réincarnation de leur système, s’il est vrai qu’elle était connue de Jésus, qu’on la lui présenta sans qu’il ne la condamnât, mais au contraire il l’accepta tacitement, et qu’enfin dans un cas, il en reconnut la vérité en ce qui concernait une personne donnée. Je pense qu’on peut clairement démontrer qu’il en fut bien ainsi.

Prenons d’abord les Juifs parmi lesquels Jésus naquit, et pour qui il dit sans équivoque qu’il était venu comme missionnaire ou réformateur. Le Zohar est un ouvrage de grande valeur et autorité chez les Juifs. Au II. 199b, il dit que : « toutes les âmes sont sujettes aux révolutions. » Ceci est la métempsychose ou a'lenn b’gilgoola ; mais il déclare que « les hommes ne connaissent pas la façon dont ils ont été jugés précédemment. » C'est-à-dire, que dans leurs « révolutions », ils perdent complètement le souvenir des actes pour lesquels ils ont été juger. Telle est précisément la doctrine Théosophique. Le Kether Malkuth dit : « Si l’âme est pure, elle obtiendra des faveurs… Mais si elle a été corrompue, elle errera pendant un moment dans la peine et le désespoir… jusqu’au jour de sa purification. » Si l’âme était pure et si elle venait directement de Dieu à la naissance, comment serait-elle corrompue ? Et où pourrait-elle errer sinon sur cette terre ou un autre monde, jusqu’au jour de sa purification ? Les Rabbins expliquaient ce point en disant qu’elle errait en dehors du Paradis, au cours de nombreuses révolutions ou naissances, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé la pureté.

Sous le nom de « Din Gilgol Neshomes », il est constamment parlé de la doctrine de la réincarnation dans le Talmud. Le terme signifie « le jugement des révolutions des âmes ». Et le Rabbin Manassa, fils d’Israël, un des plus vénérés, dit dans son livre Nishmath Hayem : « La croyance ou la doctrine de la transmigration des âmes est un dogme ferme et infaillible accepté par toute notre église d’un seul accord, de sorte que personne n’oserait la nier… Et vraiment, il y a beaucoup de sages d’Israël qui adhèrent à cette doctrine et en font un dogme, un point fondamental de notre religion. Nous sommes donc obligés par devoir d’obéir à ce dogme et de l’accepter à l’unanimité… car la vérité en a été incontestablement démontrée par le Zohar et tous les ouvrages des Cabalistes. »

Ces preuves, confirmées par les traditions des anciens Juifs, étaient l’affirmation que l’âme d’Adam s’était réincarné en David, et que par suite du péché de David contre Uriah, elle devrait revenir dans le Messie attendu. Et des trois lettres A D M, ou le nom du premier homme, les Talmudistes faisaient dériver les noms d’Adam, de David et du Messie. De là cette phrase de l’Ancien Testament : « Et ils serviront Iahvé leur Dieu et David leur roi que je réveillerai pour eux. » C'est-à-dire que David se réincarna à nouveau pour son peuple. Prenant le jugement de Dieu sur Adam « tu es poussière et tu retourneras en poussière », les interprètes hébreux disent que puisque Adam avait péché, il devait se réincarner sur terre afin de réparer le mal commis dans sa première existence ; c’est pourquoi il revint dans David, et devra revenir plus tard dans le Messie. Les juifs appliquaient la même doctrine à Moïse, Seth et Abel qu’ils écrivaient Habel. Habel fut tué par Caïn, et pour parer à cette perte, le Seigneur donna Seth à Adam ; il mourut et plus tard Moïse, le guide du peuple juif et de Seth, fut selon Adam, la réincarnation d’Habel. Caïn mourut et se réincarna en tant que Yethrokarah qui mourut, puis l’âme attendit jusqu’au moment où Habel revint sur terre en tant que Moïse, pour se réincarner ensuite dans l’Égyptien qui fut tué par Moïse ; ainsi dans ce cas, Habel revint en la personne de Moïse, rencontra Caïn sous forme de l’Égyptien, et le tua. De même, on prétendait que Bileam, Laban et Nabal étaient des réincarnations d’une seule et même âme ou individualité. Quand à Job on disait qu’il était Thara, le père d’Abraham – ce qui expliquait le verset de Job (IX, 21) « Même si j’étais parfait, je ne reconnaîtrais pas ma propre âme » signifiant qu’il ne se reconnaîtrait pas en tant que Thara.

Il faut garder tout ceci présent à l’esprit en lisant Jérémie : « Avant que tu nu fus créé dans la matrice, je te connaissais, et avant que tu n’en fus sorti, je te bénissais » ; ou encore en lisant dans les Epîtres aux Romains IX, V, II, 13, qu’avant que Jacob et Esaü ne soient nés : « J’aimais Jacob et je haïssais Esaü », puis aussi l’idée du peuple que « Élie devait venir en premier lieu » ; ou qu’un prophète quelconque se manifestait en Jésus ou en Jean ; ou encore lorsque nous voyons Jésus demander à ses disciples : « Qui les hommes disent-ils que je suis ? » Il ne peut y avoir le moindre doute donc : parmi les Juifs, depuis des âges, et jusqu’à l’époque de Jésus, les idées signalées ci-dessus étaient universellement adoptées. Venons-en maintenant au Nouveau Testament.

St. Mathieu raconte dans le onzième chapitre le récit de Jésus concernant Jean, qui, déclare-t-il, était le plus grand de tous, et qui se termine ainsi au 14e verset : « Et si vous voulez l’admettre, c’est Élie qui devait revenir. »

Il considère ici la doctrine comme admise, et le « si » ne se rapporte pas à un doute possible concernant la théorie, mais simplement au fait qu’ils pourraient ou non accepter la désignation de Jean comme un retour d’Élie. Au 17e chapitre, verset 10, il reprend encore le sujet en ces termes :

« Et ses disciples lui demandèrent : "Pourquoi donc, disent les scribes, qu'Élie doit venir d'abord ? » Et Jésus leur répondit : « Il est vrai qu’Élie devait venir en premier et remettre de l'ordre. Mais je vous dis qu’Élie est déjà venu et ils ne l’ont pas reconnu ; mais ils l'ont traité à leur guise ; c’est ainsi aussi qu’ils feront souffrir le Fils de l’homme. Alors les disciples comprirent que c’était de Jean Baptiste dont leur avait parlé. »

L’affirmation est répétée dans St. Marc, chapitre IX, V, 13, en supprimant le nom de Jean. Nulle part on ne nie la doctrine, et elle n’est pas l'un des points sur lesquels les différents Évangiles se contredisent ; aucun doute ne s’élève à son sujet.

Il y a là non seulement une allusion à la doctrine de la réincarnation, mais un énoncé clair de cet enseignement. Ce passage va beaucoup plus loin que le cas de l’homme né aveugle, où Jésus entendant une allusion à la doctrine, ne la nia ni ne la condamna d’aucune façon, mais se contenta de dire que la cause de la cécité n’était pas uniquement le péché commis antérieurement, mais que ce cas devait servir à un but particulier, comme aussi celui de l’homme supposé mort, où Jésus déclara qu’il ne l’était pas, mais qu’il lui servirait pour démontrer son pouvoir sur la maladie. Dans ce dernier cas, il se rendait compte que cet homme était si près de la mort qu’aucune personne ordinaire n’aurait pu le guérir, et dans le cas de l’homme aveugle, le fait était le même. S’il avait pensé que la doctrine était pernicieuse, comme elle aurait dû l’être si elle avait été fausse, il l'aurait condamnée à la première occasion, mais il y fit clairement allusion dans le cas de Jean, et quand il demanda quelles étaient les idées du peuple à son sujet, selon les doctrines qui avaient cours alors, ainsi qu’on l’a montré ci-dessus. St. Mahieu XVI, verset 13, suffira comme exemple, puisque les différents auteurs sont d’accord à ce sujet :

« Quand Jésus arriva dans le territoire de Césarée de Philippe, il demanda à ses disciples : « Que disent les hommes, que je suis moi, le « Fils de l’homme ? » Et ils lui répondirent : « Les uns disent que tu es Jean Baptiste ; les autres Élie ; et les autres Jérémie, ou l’un des prophètes. »

Ceci constituait un rappel volontaire de l’ancienne doctrine, auquel les disciples répondirent comme l’auraient fait tous les Juifs, sans contester du tout la question de la réincarnation ; et dans sa réponse, Jésus ne réfuta pas non plus la doctrine, mais se distingua de la masse des sages et des prophètes en montrant qu’il était une incarnation de Dieu et non une réincarnation d’un saint ou d’un sage quelconque. Il n’y fit pas allusion dans le but de la discuter et de la condamner comme il aurait pu le fare, mais le fit pour d’autres questions ; mais au contraire il en parla clairement dans le but de montrer qu’il était un Dieu incarné. Suivant son exemple, les disciples ne discutèrent jamais la réincarnation ; ils connaissaient bien la doctrine ; St. Paul devait l’avoir présente à l’esprit lorsqu’il parlait d’Esaü et de Jacob ; St. Jean ne pouvait qu’y faire allusion lorsqu’il disait dans l’Apocalypse, chap. III, V. 12 :

« Celui qui vaincra, j’en ferai un pilier dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus. »

Évidemment, il fallait qu’il en soit sorti précédemment, ou le mot « plus » n’aurait eu aucune raison d’être, ni aucun sens. C’était l’ancienne idée de l’exil de l’âme et de la nécessité pour elle de se purifier par un long pèlerinage avant de pouvoir être admise comme un « pilier dans le temple de Dieu ». Et tant que les moines ignorants mais ambitieux, après la mort d’Origène, n’eurent pas la main haute sur le Christianisme, la doctrine dut ennoblir le nouveau mouvement. Plus tard, le concile de Constantinople condamna ces idées en dépit des paroles mêmes de Jésus, si bien qu’enfin elles cessèrent de résonner comme l’un des accords du Christianisme, et que la prophétie de Jésus disant qu’il venait apporter la lutte et la division et non la paix, se réalisa parmi les nations belliqueuses des pays chrétiens qui professent le Christ en paroles, mais dont les actes renient constamment celui qu’ils appellent « l’humble de cœur ».

W.Q. Judge.

Cet article fut publié pour la première fois par W.Q. Judge dans le Path de février 1894.

Traduction publiée dans la Revue Théosophie (Vol. IV, n°5, janvier 1929).

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