Étude et travail Théosophique

Étude et travail Théosophique

21 Avr, 2019

La naissance et la vie d'une branche de la Société Théosophique [la S.T.] sont très semblables à celles d'un individu. Il en est d'un groupement de théosophes engagés dans l'entreprise et l'étude théosophiques comme d'une personne : les êtres qui lui donnent naissance et son milieu ultérieur ont un grand rapport avec la poursuite de sa vie et la puissance de l'influence exercée sur les éléments qui composent l'associa¬tion ; ils conditionnent aussi l'influence qui rayonne de la branche sur les gens de l'extérieur. Et dans une branche de la S.T., la paternité est partagée par tous ceux qui se mettent ensemble pour la lancer et soutenir son existence. Si les auteurs de ses jours sont inintelligents, confus, incertains, ou s'ils recherchent leur propre avantage dans la formation de la branche, la vie de celle-ci et son travail seront à leur image. Sa croissance sera arrêtée, son influence paralysée, et les résultats - nuls. Le travail et l'influence d'une branche reposent sur la connaissance de la doctrine théosophique, sur les motifs, idées et idéaux de ses membres ; aussi devons-nous considérer quelle est la connaissance requise, et quels devraient être les objectifs, idées et idéaux de ceux qui composent une branche de la S.T. et sont destinés à y travailler. Il faut également s'interroger sur les méthodes qu'il conviendrait d'adopter, ainsi que sur celles qui seraient à éviter.

Le travail d'une branche a deux domaines objectifs où il est destiné, dans l'ordre théosophique des choses, à faire ressentir, son aide et son influence. Le premier est constitué par ses membres individuellement et collectivement, et le second par la fraction du monde qui se trouve à sa portée. Si, comme je le crois fermement, la théorie de la fraternité universelle est basée sur une loi - un fait - dans la nature, selon laquelle tous les hommes sont des êtres spirituels qui sont indissolublement liés et unis entre eux pour former un vaste tout, il s'ensuit qu'aucune branche, ni aucun théosophe pris individuellement, ne peut être considéré comme étant sans importance ni influence ; et de même, aucun membre, homme ou femme, n'est justifié à se croire trop obscur, trop peu avance pour n'être d'une quelconque utilité pour le mouvement, et par conséquent pour l'humanité dans son ensemble.

Le fait qu'une branche soit un groupement d'individus renforce cette certitude : grâce au lien subtil qui relie entre eux tous les hommes de cette planète, par l'effet de la loi d'unité, une branche peut exercer une influence plus vaste et plus puissante — pour le meilleur ou pour le pire — qu'un simple individu isolé. Car, de même que l'homme est composé d'atomes qui sont parvenus jusqu'à lui par diverses lignes d'hérédité depuis de nombreux ancêtres, qui tous participent à l'influence qu'il exerce, ainsi une branche est un être composé d'atomes — ses membres — qui sont inclus dans ses limites. Et il ne relève pas de la fantaisie ni du rêve de dire que cet être peut se révéler intelligent, puissant, faible ou méchant dans son ensemble, selon que telle ou telle qualité lui est imposée par ses éléments constitutifs. Et les décla¬rations faites par les Adeptes au sujet des théosophes considérés individuellement devraient également s'appliquer à un tel ensemble. Ces Etres ont indiqué que chaque membre pouvait aider le mouvement en expliquant ses doctrines fondamentales (ou au moins en éliminant les fausses conceptions à leur propos), et qu'aucun élément du tout ne devrait être ignorant au point de supposer qu'il, ou elle, avait un karma spécial propre, coupé de tout lien avec le reste. Car, selon Eux, pas un seul bon exemple de vie théosophique ne se perd : l'action de chacun de nous ne se limite pas à des effets sur les membres de l'entourage immédiat, mais projette aussi dans le grand courant universel, une influence qui a son poids dans la destinée de la race. Voici certaines de leurs paroles d'or :

« Que le fruit du bon karma ne soit pas votre motif ; car comme votre karma, bon ou mauvais, est un et propriété commune de toute l'Humanité, rien de bon ou de mauvais ne peut vous arriver sans qu'il soit partagé par beaucoup d'autres. C'est pourquoi votre motif, s'il est égoïste ne pourra produire qu'un double effet, bon et mau¬vais, et rendra votre bonne action nulle ou bien la détournera au profit d'un autre homme » (...) « Il n'y a pas de bonheur pour celui qui pense toujours au soi et oublie tous les autres sois » (1).

Cela peut s'appliquer entièrement à une branche dans sa totalité, car elle constitue un être intelligent, tout autant soumis à l'effet de karma que n'importe quel individu. Elle ressent toujours le karma de ses actions, et la respon¬sabilité repose sur les membres qui ont négligé les injonctions du devoir théosophique, ou y ont obéi. De même, le karma de l'ensemble de l'organisme international doit réagir sur elle, dans un sens bénéfique ou contraire, selon le karma bon, mauvais ou indifférent, que la branche a pu acquérir par sa ligne d'action. Elle fait partie du tout, et aucun de ses fragments ne peut être exempt des influences qui appartiennent à l'ensemble des travailleurs. Ainsi, une branche qui s'est montrée indifférente, égoïste ou pleine de doute ou de déloyauté envers les idéaux qu'elle s'était engagée à suivre, attirera de l'ensemble du karma théosophique international juste ce qu'il faut pour accentuer sa faiblesse et son doute ; et d'autre part, une branche qui a travaillé dur, avec altruisme et ardeur, attirera le bon aspect de toute la somme de karma, ce qui, ajouté au sien propre, lui permettra de résister aux mauvais effets et renforcera encore les éléments vitaux du corps organisé qui est le sien.

On peut figurer le bon ou le mauvais karma de la Société Théosophique dans son ensemble comme l'entourant, d'une extrémité du monde à l'autre, sous la forme de couches ou de sphères de lumière ou de ténèbres, la lumière représentant le bon karma, et les ténèbres le mauvais. Dans ces conditions, les unités — les branches — qui contiennent en elles-mêmes des éléments de lumière vont attirer de la sphère lumineuse autant de lumière qu'elles sont capables d'en retenir et les ténèbres vont affluer vers celles qui contiennent déjà des ténèbres. Ainsi nous sommes tous, théosophiquement parlant, des gardiens et des aides les uns pour les autres, non seulement aux Etats-Unis, mais en Angleterre, à Bombay, â Calcutta et â Madras. Si nous n'accomplissons pas notre devoir, il peut arriver qu'une branche qui se débat avec des difficultés quelque part, en un lieu distant, reçoive de nous, en raison de sa formation r6cente ou de sa faiblesse, non une aide mais un dommage. Chaque branche est séparément responsable de ses propres actions, et cependant chacune est aidée, ou lésée, par chacune des autres. Ces influences réciproques s'exercent sur le plan réel, bien qu'invisible, où tout homme est uni dynamiquement â chacun de ses semblables. Et je ne manque pas de charité en disant que si les branches indiennes avaient oeuvré davantage pour les lointains Etats-Unis, â un moment où la S.T. ne pouvait y subsister par ses propres moyens, nous serions aujourd'hui plus riches que nous ne le sommes, en potentiel d'explication, en nombre de travailleurs et autres moyens d'aide qui auraient pu venir de cette terre lointaine. Il est vrai aussi que si les premières branches américaines avaient oeuvré avec plus de zèle et d'énergie dans le sens des véritables buts de la Société, nous aurions été capables plus tôt d'aider et de soulager notre frère dévoué qui se sacrifie au travail, le Colonel H.S. Olcott. Aujourd'hui, les branches récentes de la Société dans ce pays jouissent d'une plus grande opportunité que d'autres dans le passé, car tout le combat a déjà été mené et beaucoup de travail est prêt â leur disposition.

Ainsi, la plus obscure des branches a dans le plan général une place aussi importante que celle qui est grande et bien connue, alors que celles qui sont paresseuses, envahies de doute ou égoïstes, devront payer un jour ou l'autre pour les actions qu'elles ont commises, ainsi que pour ce qu'elles ont omis de faire pour contribuer â la somme collective de bien.
Au vu de cela, on peut conclure qu'une branche considérée isolément a le pouvoir d'aider et soutenir efficacement non seulement ses membres mais aussi tout l'ensemble de la Société Théosophique. Pour mieux éclairer ce point, rappelons nous comment, à plus d'une reprise dans l'histoire du monde, une famille, ou même un homme, a pu représenter parfois, pour la nation ou la race, un pouvoir actif pour le meilleur ou pour le pire.

Conformément à cette doctrine d'unité et de désintéressement, tous les membres d'une branche devraient se joindre à son travail avec un esprit altruiste capable de les amener à être patients avec leurs frères plus faibles, car la force d'une chaîne n'excède pas celle du moins résistant de ses maillons ; par conséquent, il faudrait essayer d'apporter au mental des plus faibles les vérités que les autres voient avec moins de difficulté. Ensuite, s'il s'affranchit du désir d'obtenir la connaissance pour lui-même, chaque individu rendra la branche dans son ensemble d'autant plus ouverte et poreuse aux influences invisibles, mais réelles et puissantes, qu'envoient depuis les coulisses les grands personnages dont une part du travail dans le monde est constituée par le mouvement théosophique, et qui oeuvrent constamment parmi nous dans le but d'aider ceux qui sont sincères et altruistes. Si l'on en croit le témoignage de ceux qui font partie de la Société depuis longtemps, il y a chaque jour parmi nous, affirment-ils, de nombreux disciples (connus dans notre littérature sous le nom de « chélas ») qui sont engagés dans la tâche d'attiser la flamme de l'illumination spirituelle partout où ils la rencontrent parmi les membres. Leur influence n'est pas dispensée sur des critères de richesse ou de rang éminent, mais elle s'exerce sur tout individu, de n'importe quelle classe, qui s'est efforcé de comprendre la théosophie pour le bien d'autrui, en visant à pouvoir la communiquer aux autres à son tour. Non seulement ce fait a été attesté par les leaders du mouvement, mais, nombre d'entre nous ont constaté dans leur propre expérience que ceux qui sont ardents dans le service de leur semblable ont reçu de l'aide.

Et cela s'applique particulièrement et plus fortement à ceux des membres qui ont entre autres comme but l'acquisition de pouvoirs psychiques et anormaux. Si l'homme désire ces pouvoirs pour lui-même, il ne peut les trouver et les utiliser en toute sécurité ; et le simple fait d'affirmer dans son coeur, ou en paroles, qu'il les désire pour les autres ne sert à rien si le motif et l'objectif intérieurs et profonds ne coïncident pas avec la haute résolution qui est exprimée. Nouveaux et anciens, nos membres feraient aussi bien de se familiariser dès maintenant avec cette vérité nue et crue sur ce sujet, plutôt que d'attendre des années d'expérience amère pour qu'elle s'imprime profondément en eux. De tels pouvoirs existent, et l'homme peut les acquérir, mais chaque âge et chaque race a ses limites que l'individu moyen ne peut franchir. Il n'y a guère de membres désireux de ces pouvoirs qui, de leur propre aveu, seraient prêts, pour s'en rendre maîtres, à devenir des magiciens noirs, c'est-à-dire à sacrifier pour eux leurs chances d'émancipation. Cependant, sans altruisme, on ne peut les obtenir à moins d'être un magicien noir. Il faut délibérément se décider à sa ri fier toute autre chose et tout être à la poursuite de ce dessein, si on a l'intention de les acquérir sans suivre les règles établies par les Adeptes blancs, qui enseignent la vérité, la pureté, la charité et toutes les vertus — en fait, l'altruisme. Ce n'est pas un secret que eux voies — et eux seulement — s'ouvrent à celui qui aspire aux pouvoirs de l'adepte : ce sont celle de la main droite, de la vertu et de l'altruisme, et celle de la main gauche — le côté noir — de l'égoïsme intense et inflexible. Aucun compromis, aucun dilettantisme n'est autorisé, ni possible, et ce d'autant plus sur le sentier égoïste, car là, chacun a la main levée contre celle des autres ; personne ne viendra en aide à la moindre crise, et à l'heure où l'étudiant de cette école se trouvera mis en péril par les terribles forces invisibles de la nature, ses compagnons de route ne feront que ricaner de sa faiblesse et se réjouir de sa chute. En fait, très mince est la ligne de démarcation entre ces deux voies, pour les étudiants du degré auquel appartiennent la plupart des membres de notre Société. Elle est comme la limite de l'épaisseur d'un cheveu qui sépare le vrai du faux, selon a parole du mystique musulman. Il faut être très attentif pour découvrir si son motif est vraiment aussi altruiste qu'on le prétend. Mais on peut tou¬jours le tester par la réalité du sentiment de fraternité que l'on a en soi. Une simple aspiration intellectuelle à connaître et à découvrir plus dans ce domaine est égoïste et appartient à la qualité noire, car à moins que tout désir de connaître la vérité ne soit nourri dans le but de pouvoir la donner aux autres, il est plein d'impureté. De plus, il ne conduira pas aux pouvoirs, ni a la vraie connaissance, car le succès dans les deux voies dépend de l'embrasement du désir dans le coeur. Avec l'école blanche, ce désir brûle pour les autres ; dans la voie du côté noir, le même désir ardent est tourné vers soi uniquement.

Nombreux, cependant, sont ceux qui pensent qu'ils peuvent appartenir à la Société, et que, tout en étant égoïstes d'une manière négative, c'est-à-dire disposés de bon gré à s'asseoir pour écouter les autres exposer la doctrine théosophique, sans jamais travailler eux-mêmes pour l'ensemble, ils auront la chance de profiter de cette attitude dans le sens d'une compréhension des doctrines concernant l'homme et la nature qui sont répandues parmi nous. Mais ils oublient une loi de grande importance qui opère dans ces domaines, en fait, une loi dont ils ne sont peut-être pas prêts à admettre l'existence et qui est fort opposée à nos idées modernes sur les pouvoirs et les fonctions du mental humain. Il s'agit de ceci : une telle attitude, en raison de son égoïsme, élève un mur résistant entre leur mental et les vérités mêmes qu'ils désirent connaître. Je parle d'un effet dynamique véritable qui est aussi évident à l'œil du voyant entraîné que tout objet pour un oeil sain.
Nous sommes habitués, depuis tant d'années, à des idées vagues sur le mental humain, sur ce qu'il est et ce que sont vraiment ses pouvoirs, que les gens en général n'ont aucune idée claire sur la question de savoir si oui ou non les pensées produisent un effet matériel sur l'organisme humain, ou si elles sont semblables à ce qu'on appelle communément « l'imagination » — un quelque chose de très irréel et d'entièrement dénué d'objectivité. Mais c'est un fait que le mental de la personne égoïste n'arrête pas de construire autour de lui-même une surface dure et réfléchissante qui renvoie hors de sa portée la connaissance même que l'homme, quant à lui, saisirait bien si seulement il savait la raison pour laquelle il n'y parvient pas.

Ceci nous conduit naturellement â la proposition suivante : l'objectif des membres d'une branche devrait être de déraciner l'égoïsme, et de répandre et illustrer la doctrine de la fraternité universelle, en appuyant leurs explications sur l'unité réelle de tous les êtres. D'elle-même, cette doctrine amènera à en expliquer de nombreuses autres, étant donné qu'elle les sous-tend toutes, petites et grandes. Et, pour ce faire, les membres devraient étudier le système comme un tout, afin de pouvoir y englober toutes ses parties. C'est parce qu'une telle étude fait défaut que l'on entend si souvent des membres répondre, lorsqu'on leur demande d'expliquer leur théosophie : « Eh bien, à vrai dire, je sais bien ce dont il s'agit, mais je ne suis pas capable de vous l'expliquer clairement. » Ils manquent de clarté parce qu'ils n'ont pas pris le temps, ni le soin d'apprendre les quelques propositions fondamentales et la manière de les appliquer à toute question, quelle qu'elle soit.

Une erreur très courante consiste à supposer que l'on peut convertir â la théosophie et amener dans son sein des nouveaux venus, des personnes nouvelles qui cherchent à s'informer, en se tournant vers les phénomènes et en insistant sur leur importance. Dans le terme « phénomènes », j'inclus toute manifestation telle que spiritisme, clairvoyance, clairaudience, psychométrie, hypnotisme, mesmérisme, lecture de pensée, etc. Ces membres ne convertissent que peu de gens, s'ils le font, parce qu'il n'y a pas grand-chose de connu au sujet de ces phénomènes et qu'il faut administrer tellement de preuves avant de faire naître une croyance. Et m&me une croyance en ces choses n'apporte aucune base saine d'une nature théosophique. On trouve de cela une parfaite illustration dans l'histoire de H.P. Blavatsky qui, pendant de nombreuses années, a permis que des phénomènes se produisent en sa présence pour le bénéfice de cer¬taines personnes bien précises. Ces phénomènes ont été commentés par le monde entier, et la Société Psychique a cru bon d'envoyer un homme pour faire une investigation à leur sujet, postérieurement à leur manifestation, mais quoique les personnes mêmes qui les avaient vus se produire aient témoigné de leur authenticité, ils ont été niés par cet enquêteur et tous mis sur le compte de la supercherie et d'une entente entre compères. Tous ceux qui dès le début étaient enclins à croire à leur réalité ont continué de le faire, et ceux qui n'y avaient jamais cru sont restés sur la même position qu'auparavant.

Les phénomènes les mieux attestés prêtent toujours au doute tant que la philosophie sur laquelle ils reposent n'est pas comprise.
De plus, la grande masse des hommes et femmes de ce monde ne se préoccupent pas des phénomènes. A leur avis, on peut les laisser de côté pour l'instant, parce que des choses plus urgen¬tes mobilisent l'attention et appellent des solutions. Les grands problèmes de la vie nous harcèlent : pourquoi sommes-nous ici, pourquoi souffrons-nous, où peut-on trouver la justice qui démontrera pourquoi doit souffrir l'homme bon, ou même, en fait, n'importe qui ? Car tout homme pense que le destin le malmène injustement lorsque s'effondrent les projets qu'il avait nourris, que sa famille est emportée par la mort, que son nom est déshonoré par un rejeton irrespectueux des bonnes traditions, ou encore que — ce qui est très souvent le cas — il est injustement accusé et blessé par ses semblables. Nombreux sont ceux qui se trouvent naître pau¬vres quand d'autres moins méritants sont riches ; et ils demandent pourquoi il en est ainsi de tout, sans recevoir la moindre réponse des systèmes religieux courants d'aujourd'hui. C'est la vie et ses douleurs qui détruisent notre paix, et tout cœur humain veut en connaître la raison.
Nous devons, par conséquent, offrir des théories qui fourniront la réponse, et ces théories sont les grandes doctrines de karma et de la réincarnation : elles font voir la justice triomphante dans le monde, distribuant récompense ou châtiment suivant ce qui est mérité dans tous les états de la vie. Après quinze années d'expérience dans le travail de la Société, j'ai observé que plus d'hommes et de femmes bons et utiles ont été attirés â notre mouvement par ces doctrines qu'il n'en lui est jamais venu â cause des phénomènes, et que nom¬breux sont ceux qui ont quitté nos rangs après avoir commencé par le côté des phénomènes. Les membres en général ne sont peut-être pas conscients du fait que, lorsque la Société fut formée, la majorité de ses affiliés à New York étaient des spirites, et que presque tous nous ont quittés depuis longtemps.

Il y a un pouvoir mystérieux dans ces doctrines de karma et de la réincarnation qui les impose finalement â la croyance de ceux qui se mettent â les étudier. Cela est dû au fait que l'ego est lui-même celui qui fait l'expérience de la renaissance et de karma, et qu'il possède en lui un clair souvenir des deux : il se réjouit, pour ainsi dire, lorsqu'il constate que le mental inférieur se met â les étudier. Chaque personne est la concentration et le résultat de karma, et elle est poussée de l'intérieur â croire. L'éthique de la Théosophie, telle qu'elle est imposée et éclairée par ces doctrines jumelles, devrait par conséquent constituer l'objet de notre recherche et de nos efforts de diffusion.
De plus, cette ligne d'action est ratifiée, pour ceux qui croient en les Adeptes, par les mots qu'ils ont écrits â notre sujet. Je cite : « C'est le désir insatiable de phénomènes, si souvent rendus dégradants, qui vous a causé tant d'ennuis. Que la Société prospère donc en s'appuyant sur sa valeur morale, et sur l'étude et la mise en pratique de la philosophie et de l'éthique. »
La question suivante est de savoir comment mettre tout cela en pratique.

Premièrement, en ouvrant la branche au public, et en ne lui donnant jamais un caractère privé.
Deuxièmement, par une présence assidue, et des réunions régulières.
Troisièmement, en créant une bibliothèque, avec, au début, les quelques livres importants : ce minimum peut ensuite être complété par les membres, de temps en temps, par le don de livres qu'ils auront lus.
Quatrièmement, en ayant toujours un article, original ou non, prêt pour la lecture et la discussion. Si aucun talent littéraire n'est disponible, on peut y remédier en puisant dans la grande quantité d'articles qui ont été publiés dans les revues de la Société au cours de ces quinze dernières années. Presque tous les sujets d'intérêt théosophique y ont été traités et expliqués. On peut les rechercher sans grande difficulté et les utiliser à toutes les réunions. Et on peut mener leur étude selon un programme défini, de façon à couvrir chaque sujet dans sa totalité. On s'apercevra que presque toutes les questions qui préoccupent maintenant les nouveaux membres ont déjà été illustrées et expliquées à un moment ou un autre dans ces articles.
Cinquièmement, par une étude élémentaire attentive de nos doctrines, â partir d'un ou deux livres, jusqu'à ce que les grandes lignes de l'ensemble soient saisies. Prenez, par exemple, le Bouddhisme ésotérique (2). Il expose le système dans sa généralité, et bien des gens l'ont lu, mais beaucoup n'en ont fait qu'une seule lecture. Ces personnes-là se posent souvent des questions qu'elles pourraient facilement résoudre si elles avaient intégré à leur bagage mental le système dans son ensemble. Ce livre peut être corrigé à l'aide de la Doctrine Secrète, dans laquelle Mme Blavatsky déclare que le Bouddhisme ésotérique est correct dans ses grandes lignes, tout en donnant les moyens de remédier à ses déficiences. Et puis, il y a cet ouvrage des plus utiles, Five Years of Theosophy (Cinq années de Théosophie), contenant certains des articles les plus précieux qui aient paru dans les colonnes du Theosophist.
Sixièmement, par une méthode de discussion qui ne permette à aucune personne de la branche d'imposer ses vues comme étant les idées correctes. Nous ne pouvons accéder à la vérité par des affirmations tranchées, mais seulement par une calme considération des points de vue présentés, et la personne qui donne ses avis avec autorité est presque toujours proche de l'erreur. Je sais que cette position est contraire à celle de l'indépendance américaine,qui nous amène constamment à nous affirmer avec autorité. La véritable philosophie réduit cette tendance à zéro et enseigne que c'est seulement par la coopération des chercheurs que l'on peut arriver à la vérité. Et l'occultisme plus profond indique que celui qui s'affirme avec autorité se prive à jamais de la vérité. Aucun mental ne possède toute la connaissance possible, et chacun, par nature, n'est capable de voir que le côté particulier qui s'offre à lui facilement, en raison de son hérédité raciale et des tendances surajoutées par son éducation.
Septièmement, en nous souvenant que nous ne pouvons pas modifier d'un coup les tendances inhérentes des atomes de notre cerveau, ni nous changer en un éclair. Nous sommes insensiblement affectés par notre éducation, par les idées de notre jeunesse, par la pensée, quelle qu'elle ait pu être, que nous avions avant d'aborder la Théosophie. Il nous faut être patients, non pas avec le système théosophique mais avec nous-mêmes, et accepter d'attendre que se produise graduellement sur nous l'effet des idées nouvelles.
L'adoption de ces idées est en fait une nou¬velle incarnation mentale, et nous devons, tout comme dans le cas d'un nouveau manvantara, évoluer à partir de l'ancien état et progressivement déraciner avec soin les anciennes tendances. Il est enseigné dans la Doctrine Secrète que la lune est le parent de la terre et qu'elle nous a donné tous les matériaux que nous remettons en chantier dans notre monde. C'est la même chose dans le cas considéré. Notre ancien état mental constitue notre lune mentale : il nous a donné certains matériaux que nous devons remettre sur le métier ; si nous ne le faisons pas nous essayons d'aller à l'encontre d'une loi de la nature, et nous sommes voués à l'échec.

Certains demanderont peut-être s'il n'existe pas quelque genre d'étude qui nous permettrait de faire table rase (3) de ces anciens modes de pensée erronés. A ceux-ci je ne peux qu'indiquer l'expérience de beaucoup de mes amis dans ce sens. Soutenus en cela par la plus haute autorité, ils disent que l'unique processus consiste à approfondir et essayer de comprendre la loi d'unité spirituelle et le fait que nul être n'est séparé des autres, mais que tous sont un sur le plan de l'esprit, et que pas une seule personne ne possède en propre un esprit particulier, mais que l'atman, qu'on appelle le « septième principe », est, en fait, la synthèse du tout et la propriété commune de tous les êtres, supérieurs et inférieurs, humains, animaux, animés, inanimés ou divins. C'est ce qu'enseigne la Mundaka Upanishaddes Hindous, et le titre même de « Mundaka » renvoie à l'idée de « raser », parce qu'elle « rase » les erreurs qui barrent la voie vers la vérité, en permettant alors à la lampe brillante de la connaissance spirituelle d'illuminer notre nature intérieure.

Et pour ceux qui désirent trouver l'éthique et la philosophie les plus élevées condensées en un seul livre, je recommanderais la Bhagavad-Gîtâ, étudiée à l'aide de conférences comme celles de notre frère hindou - maintenant décédé — Subba Row, de Madras (4). Elles ont été republiées du Theosophist et chacun peut se les procurer. Dans la Doctrine Secrète, Mme Blavatsky déclare : « On peut trouver (dans ces conférences) la meilleure définition métaphysique de la théogonie primordiale selon l'esprit vedantin ».
Dans la conclusion de la Clef de la Théosophie, H.P. Blavatsky écrit, au sujet de l'avenir de la Société Théosophique :

« Son avenir dépendra presque entièrement du degré de désintéressement, de sincérité, de dévouement et finalement — ce qui n'est pas le moins important — de la mesure de connaissance et de sagesse que posséderont ceux de nos membres auxquels il incombera de continuer le travail et de guider la Société après la mort de ses Fondateurs. » (....) s'ils ne sont pas capables de s'affranchir du conditionnement de l'éducation théologique (...) on ne peut s'attendre qu'à voir la Société partir à la dérive, pour aller s'échouer sur quelque banc de sable de la pensée et y demeurer comme une épave immobilisée pour toujours et condamnée à se désagréger et mourir. (...) Mais si l'on réussit à éviter ce danger (...) la Société continuera et subsistera à travers le XXe siècle (...) Elle brisera (...) les entraves de fer des crédos et des castes. (...) L'Occident apprendra à comprendre et à estimer l'Orient à sa juste valeur (...) Le développement des pouvoirs psychiques (...) s'accomplira d'une manière saine et normale et l'humanité sera sauvée des terribles dangers, à la fois mentaux et corporels qui sont inévitables quand ce développement a lieu — comme il risque de le faire en ce moment — dans un climat où se déchaînent l'égoïsme et (...) la passion.
Vers la fin de chaque siècle (...) une ou plusieurs personnes se révèlent dans le monde comme Agents des Maîtres, et on voit se répandre sur une échelle plus ou moins grande (...) une connaissance occulte. »

Elle conclut en affirmant que la S.T. actuelle constitue l'une de ces tentatives faites pour aider le monde, et que le devoir de chacun des membres est indiqué sans équivoque : il s'agit pour eux de préserver cet organisme, avec sa littérature et les plans originels, de façon à le transmettre à nos successeurs qui devront le tenir prêt lors du dernier quart du siècle suivant, pour le messager des Maîtres qui alors réapparaîtra, comme maintenant. Echec ou succès dans ce devoir, les conséquences en sont clairement prévisibles. Si nous réussissons, alors, au vingtième siècle, ce messager — homme ou femme — trouvera les matériaux disponibles, dans les livres, dans la pensée, et le vocabulaire familier, pour lui permettre de poursuivre la grande entreprise jusqu'à un autre stade, sans l'opposition farouche et les obstacles terribles qui nous ont mis au défi pendant les quinze dernières années qui viennent juste de s'achever. Si nous échouons, alors le messager gaspillera de nouveau beaucoup de précieuses années à re-préparer le terrain et c'est à nous qu'en incombera la responsabilité.

William Q. Judge

Notes :
(1) : Ces paroles sont citées par H.P. Blavatsky dans les Cinq Messages (pp.36-7), éd. Textes Théosophiques, Paris. (N.d.T.). [retour texte]
(2) : Ouvrage publié en 1883 par A, P. Sinnett sur la base d'une correspondance échangée avec les Maîtres de Mme Blavatsky. (N.d.T.).   [retour texte]
(3) W.Q. Judge emploie le verbe to shave off : « faire place nette avec un rasoir » - ce qui annonce la fin du paragraphe. (N.d.T.).   [retour texte]
(4) Revue The Theosophist, février, mars, juin, 1887.   [retour texte]

Remarque : La présent article « Theosophical Study and Work », fût publié en anglais par W.Q. Judge dans la revue Aryan Branch Paper de novembre 1890. (N.d.T.) – Cahier Théosophique n°148 - © Textes Théosophiques.

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