Nos trois buts

Nos trois buts

29 Mar, 2019

Tous les exploits du cœur humain qui nous inspirent louange ou étonnement sont autant d'exemples illustrant la force irrésistible de la PERSÉVÉRANCE. C'est par elle que la pyramide sort de la carrière et que des pays éloignés sont réunis par des canaux. Des opérations poursuivies sans relâche finissent, à terme, par surmonter les plus grandes difficultés, les montagnes sont nivelées et les océans ceinturés de digues, par la force ténue des êtres humains. – Johnson.

Il en est ainsi, et il en sera toujours ainsi, mes chers enfants. Si l'Ange Gabriel devait descendre du Ciel pour mener un assaut victorieux contre les privilèges les plus abominables et les plus illégitimes qui aient jamais fait gémir de douleur le pauvre vieux monde, il perdrait sans aucun doute son prestige, pour des années ― et probablement des siècles ― non seulement aux yeux des privilégiés mais aussi de la foule respectable des gens qu'il aurait délivrés. – Hughes.


Post nubila Phœbus ― après les nuages, le soleil. Avec ce dicton, la revue Lucifer entame son cinquième volume ; et, pour avoir eu sa part dans la bataille de personnalités qui a fait rage tout au long du précédent volume, la rédactrice en chef a le sentiment d'avoir mérité le droit à une période de paix. En se décidant à en jouir à tout prix désormais, elle est mue autant par le mépris qu'elle ressent pour l'étroitesse d'esprit, l'ignorance et la bigoterie de ses adversaires, que par la fatigue éprouvée en raison de ces assommantes inanités. Ainsi, dans la mesure de sa capacité à maîtriser son indignation et son tempérament, qui n'est pas des plus placides, elle traitera dorénavant avec dédain les inventions calomnieuses répandues à son sujet, dont elle semble devoir être la victime chronique.

Le début d'un volume est la meilleure occasion pour jeter un coup d'œil sur le passé ― ce sur quoi nous attirons ici l'attention du lecteur.

Si le public extérieur n'a qu'une connaissance vague de la Théosophie, comme un observateur n'apercevant qu'à moitié une forme indistincte à travers la poussière de la bataille, les membres de notre Société devraient au moins garder en pensée ce qu'elle accomplit selon les lignes de ses buts déclarés. Il est à craindre qu'il perdent cela de vue dans tout le tapage impressionnant qui est fait autour de la discussion de ses principes, et les calomnies lancées contre ses responsables. Cependant, tandis que les gens bornés dans les rangs des matérialistes, des chrétiens et des spirites, rivalisent entre eux pour tenter de jeter l'opprobre sur l'un des leaders de la Théosophie, et de rabaisser ses droits à l'estime publique, la Société Théosophique poursuit dans la dignité vers l'objectif qu'elle s'est assigné dès le début.

Silencieusement, mais irrésistiblement, elle élargit sa sphère d'efficacité, et attire sur son nom la sympathie de diverses nations. Tandis que ses détracteurs s'activent à leur ignoble tâche, elle crée les faits qui retiendront l'attention de son futur historiographe. Ce ne sont pas des pamphlets polémiques, ou des articles de journaux à sensation, qui constitueront les archives permanentes de son histoire mais les façons dont elle aura mené à bien, de manière manifeste, son projet original : former un noyau de fraternité universelle, redonner vie à la littérature et aux philosophies orientales, et contribuer à l'étude des problèmes occultes dans les sciences physiques et psychologiques. La Société n'a guère que quatorze années d'existence et pourtant combien n'a-t-elle pas accompli déjà ! Et combien de réalisations impliquant un travail de la plus haute qualité ! Nos adversaires ne sont peut-être pas tentés de nous rendre justice, mais la reconnaissance de notre œuvre viendra sûrement dans l'avenir. En attendant, consignons les faits tels qu'ils sont, sans vernis ni exagération. Ces faits sont les suivants, classés selon les rubriques appropriées.


I - La Fraternité

À notre arrivée en Inde, en février 1879, il n'y avait entre les races et sectes de la péninsule aucune unité, aucun sens d'intérêt public commun, aucune disposition à découvrir le rapport mutuel entre les diverses sectes de l'hindouisme originel, ou entre celles-ci et les croyances de l'islâm, du jaïnisme, du bouddhisme et du zoroastrisme. Entre les hindous brahmaniques de l'Inde et leurs frères de race, les bouddhistes cinghalais modernes, il n'y avait eu aucun échange religieux depuis une époque reculée. Et même entre les diverses castes existant à Ceylan, il y avait un manque complet d'unité, aucun mariage entre groupes différents, aucun esprit d'homogénéité patriotique, mais un sectarisme plein de rancœur et une animosité entre castes, cela parce que, fidèles à leurs anciennes origines hindoues, les cinghalais restaient attachés à la notion de caste, en dépit de la lettre et de l'esprit de leur religion bouddhique. Quant à un quelconque échange international, dans les affaires religieuses ou sociales, entre Ceylan et les nations bouddhistes du Nord, une telle chose n'avait jamais existé. Chacun était dans l'ignorance et l'indifférence absolues de ce que pouvaient être les conceptions, besoins et aspirations de l'autre. Finalement, entre les communautés d'Asie et celles d'Europe et d'Amérique, existait la plus complète absence de sympathie au sujet des questions religieuses et philosophiques. Les efforts déployés par les orientalistes, de sir William Jones et Burnouf au prof. Max Müller, avaient fait naître un intérêt philosophique parmi les gens instruits, mais même pas cela parmi les masses. Si, à ce qui précède, nous ajoutons que toutes les religions d'Orient, sans exception, étaient en train d'être asphyxiées à mort par le gaz délétère de la science officielle d'Occident, par l'intermédiaire des moyens d'instruction mis en place par les administrations européennes et les propagandistes des missions religieuses, et que nombre d'étudiants et de diplômés orientaux - qu'ils aient été de l'Inde, de Ceylan ou du Japon - étaient devenus des incroyants et détracteurs des religions de jadis, on se rendra compte à quel point il a dû être difficile de faire naître de ce chaos quelque chose comme une harmonie, de créer un sentiment de tolérance, sinon d'amitié, et de bannir ces haines, ces méfiances malsaines, ces mauvaises dispositions réciproques et cette ignorance mutuelle.

Dix ans se sont écoulés et que voyons-nous ? En passant en revue chacun des points séparément, nous découvrons ce qui suit.

Dans toute l'Inde, l'unité et la fraternité ont remplacé la désunion, 125 branches de notre Société se sont formées rien qu'en Inde, chacune constituant un foyer de notre idée de fraternité, un centre d'unité religieuse et sociale. Il y a, parmi leurs membres, des représentants de toutes les meilleures castes et de toutes les sectes hindoues, et une majorité appartient à la classe de ceux qui sont par hérédité des savants et des philosophes ― les brâhmanes ― que les missionnaires ont vainement tenté de pervertir pour en faire des chrétiens, et particulièrement les missions sélectes d'Oxford et de Cambridge, dans la tentative désespérée qu'elles avaient choisi comme tâche à accomplir. Le Président de notre Société, le colonel Olcott, a traversé toute l'Inde plusieurs fois, sur invitation, en prenant la parole devant des assemblées très nombreuses, sur des thèmes théosophiques, en semant les graines qui, le moment venu, donneront la pleine moisson de notre évangile de fraternité et de mutuelle confiance. Le développement de ce sentiment amical s'est affirmé de diverses façons : tout d'abord, dans le rassemblement sans précédent de races, de castes et de sectes que l'on a vu lors des Congrès annuels de la Société Théosophique ; ensuite, dans le développement rapide d'une littérature théosophique prônant nos vues altruistes, dans le lancement de divers journaux et revues, publiés en plusieurs langues, et dans la prompte cessation de querelles sectaires ; en troisième lieu, dans la naissance soudaine et la croissance phénoménale du mouvement patriotique dont le foyer central est l'organisation appelée Indian National Congress (Note 1). Ce remarquable organisme politique fut conçu par certains de nos membres anglo-indiens et hindous, d'après le modèle et les lignes d'action de la Société Théosophique, et, depuis le début, il est dirigé par nos propres collègues ― des hommes qui sont parmi les plus influents dans l'Empire indien. Et, en même temps, il n'existe aucun lien (si on excepte celui qui réunit les personnalités des individus) entre le Congrès et l'organisation-mère de notre Société. Selon toute probabilité, il n'aurait jamais vu le jour si le colonel Olcott avait succombé à la tentation d'entrer dans des voies secondaires de fraternité humaine, de politique, de réformes sociales, etc., comme beaucoup ont voulu qu'il le fasse. Nous avons réveillé l'esprit en sommeil et réchauffé le sang aryen des hindous, et l'une des voies que la vie nouvelle s'est frayée a abouti à ce Congrès. Tout cela relève de l'histoire pure et simple, et ne saurait être contesté.

Du côté de Ceylan, maintenant, voyez les miracles accomplis par notre Société, en prenant pour preuves les nombreuses allocutions prononcées, les multiples rapports et autres documents officiels qui ont été communiqués à ce jour tant. à nos lecteurs qu'au public en général. Voyez les gens des castes qui deviennent membres, l'animosité sectaire qui s'efface presque, seize Branches de la Société qui voient le jour dans l'île, toute la communauté cinghalaise, pourrait-on dire, se tournant vers nous pour recevoir conseil, exemple à suivre, et consignes directrices ; ici, un comité de bouddhistes se rendant en Inde avec le colonel Olcott pour planter un cocotier ― vieux symbole d'affection et de bonne volonté ― dans le terrain de l'enceinte du temple hindou, à Tinnevelly, et là, des nobles de Kandy, qui jusqu'alors gardaient leurs distances vis-à-vis de paysans de basse condition, avec la hauteur dédaigneuse héritée de leurs traditions féodales, devenant Présidents de nos Branches, et même voyageant comme conférenciers bouddhistes.

Ceylan fut le foyer (Note 2) d'où rayonna la religion de Gautama vers le Cambodge, le Siam et la Birmanie. Quoi donc de plus normal qu'un message de fraternité ait été porté de cette Terre Sacrée au Japon ? Comment ce message fut reçu par notre Président, présenté par lui là-bas - et avec quels magnifiques résultats - est trop bien connu de tout le monde occidental pour qu'il soit nécessaire d'en refaire le récit dans le présent contexte. Qu'il suffise de dire que l'événement compte parmi les plus spectaculaires de l'histoire, et qu'il apporte la preuve suffisante, irréfutable et décisive, de la vivante réalité de notre projet d'engendrer le sentiment de Fraternité Universelle parmi tous les peuples, groupes humains, races, castes et couleurs.

Un exemple significatif du bon sens pratique qui se révèle dans notre conduite des choses est la création du « Drapeau bouddhique » pour servir de symbole stylisé de la religion du Bouddha, indépendamment de toute question sectaire. Jusqu'à présent, les bouddhistes n'avaient eu aucun symbole, comme celui que représente la croix pour les chrétiens, et, en conséquence, n'avaient pas disposé d'un tel signe essentiel de la commune relation les unissant, qui est le point de cristallisation, pour ainsi dire, de la force fraternelle que cherche à évoquer notre Société. Le Drapeau bouddhique répond effectivement à ce besoin. Il est constitué selon les proportions usuelles des emblèmes nationaux (pour ce qui est du rapport entre longueur et largeur), et il comprend six barres verticales dont les couleurs s'ordonnent comme il suit : bleu saphir, jaune d'or, pourpre, blanc, rouge vermillon, avec finalement une combinaison de toutes les autres couleurs (Note 3). Cette sélection de teintes n'est pas arbitraire, mais une transposition à ce cas particulier des couleurs décrites dans les vieux textes pâlis et sanskrits comme étant Visibles dans la psychosphère, ou l'aura, entourant la personne du Bouddha, et que l'on trouve représentées, comme des vibrations chromatiques, autour de ses images à Ceylan et ailleurs. Ésotériquement, elles sont très suggestives dans leur combinaison. Le nouveau Drapeau a été hissé pour la première fois sur notre Quartier Général de Colombo, puis adopté avec des acclamations dans toute l'île de Ceylan ; introduit au Japon par le colonel Olcott, il s'est répandu dans tout l'Empire du Soleil levant pendant la courte période de sa récente visite.

La calomnie ne peut effacer ni même amoindrir le moindre de ces faits. Ces derniers ont traversé les brumes de la haine du jour, pour briller dans le soleil qui éclaire tous les événements pour l'œil de l'historien. 


II. Orient : Philosophie, littérature, etc.

Ceux qui ne connaissent pas l'Inde ni les hindous ne peuvent se faire une idée de l'état d'esprit qui régnait parmi la jeune génération des natifs du pays instruits à l'école, primaire et secondaire, vis-à-vis de leur religion ancestrale lorsque nous sommes arrivés là-bas, il y a dix ans. L'attitude mentale de matérialisme et d'incroyance, concernant la religion dans l'abstrait, qui prévaut dans les universités occidentales avait été communiquée aux établissements scolaires de divers degrés en Inde par leurs diplômés, les professeurs européens occupant les différentes chaires dans lesdites institutions d'enseignement. Les livres scolaires entretenaient cet esprit, et les hindous instruits étaient entièrement sceptiques en matière religieuse : ils ne suivaient les rites et observances du culte national que pour des considérations de nécessité sociale. Quant aux écoles et collèges secondaires des missionnaires, leur seul effet était d'engendrer le doute et le préjugé contre l'hindouisme et toutes les religions, sans pour autant rapporter de l'estime au christianisme, ou obtenir des conversions. Le remède à cet état de choses consistait, bien sûr, à attaquer la citadelle du scepticisme, du prétendu savoir de la science, et à mettre en évidence la base scientifique de la religion en général et de l'hindouisme en particulier. Cette tâche fut entreprise dès le début et poursuivie jusqu'à la victoire - résultat qui s'impose à tout voyageur s'informant de l'état actuel de l'opinion indienne. Le changement a été remarqué par un grand nombre de personnalités, dont sir Richard Temple, sir Edwin Arnold, Mrs. W.S. Caine (membre du Parlement), Lady Jersey, sir Monier-Williams, le Primat des Indes, les évêques et archidiacres de toutes les Présidences, les organes des différentes sociétés missionnaires, les principaux et professeurs de leurs collèges, les correspondants de journaux européens, une multitude d'auteurs et de rédacteurs indiens, des congrès de pandits (érudits) sanskritistes ; et il a été salué en termes de fervente gratitude dans une foule de discours prononcés devant le colonel Olcott au cours de ses voyages prolongés. Sans exagérer, ni risquer d'être contredit, on peut affirmer que les efforts de la Société Théosophique en Inde ont infusé une vitalité nouvelle et vigoureuse dans la philosophie hindoue, ravivé la religion de ce pays, regagné l'adhésion de la classe instruite aux croyances ancestrales, créé un enthousiasme pour la littérature sanskrite qui se manifeste de façon diverses : republication de documents anciens comme encyclopédies, textes religieux et commentaires, fondation de nombreuses écoles de sanskrit, reconnaissance et soutien du sanskrit par des Princes locaux, etc. En outre, par les moyens mis en œuvre et les foyers actifs établis dans ce domaine littéraire, la Société a répandu dans le monde entier une connaissance de la philosophie aryenne et un intérêt pour elle.

Les répercussions de ce travail se manifestent dans la demande populaire de littérature théosophique et l'intérêt pour les romans et récits de revues illustrant des idées de l'Orient. Un autre effet important est la modification, sous l'influence de la philosophie orientale, des conceptions des spirites, nettement amorcée en ce qui concerne l'origine d'un aspect de l'intelligence qu'on trouve à l'œuvre derrière les phénomènes médiumniques. Un autre effet encore est l'adhésion à notre Société de Mme Annie Besant, poussée à abandonner les rangs du sécularismes (Note 4) par l'étude de la doctrine ésotérique ― un événement lourd des plus importantes conséquences, à la fois pour la Société Théosophique, le sécularisme et le public en général. Des noms sanskrits qu'on n'avait jamais entendus auparavant en Occident sont devenus familiers pour les lecteurs, et des œuvres comme la Bhagavad-Gîtâ sont maintenant disponibles dans les librairies d'Europe, d'Amérique et d'Australasie.

Ceylan a été témoin d'une renaissance du bouddhisme, avec la mise en circulation de livres religieux par dizaines de milliers, la traduction de l'ouvrage [du colonel Olcott] Buddhist Catechism en de nombreuses langues de l'Orient, de l'Occident et du Nord, la fondation d'écoles secondaires théosophiques à Colombo, Kandy et Ratnapura, ainsi que de près de cinquante écoles primaires pour enfants bouddhistes, sous la supervision de notre Société, la Création d'un jour de congé comme Fête Nationale bouddhique accordée par le Gouvernement, avec d'autres privilèges importants, le lancement d'un journal bouddhique bihebdomadaire édité à Colombo en langue locale, et d'un autre en anglais, l'un et l'autre étant composés, imprimés et publiés par la propre imprimerie de la Société. Également, Ceylan nous a vus ramener du Japon sur son sol sept jeunes prêtres bouddhistes intelligents pour apprendre le pâli sous l'égide du vénérable grand-prêtre Sumangala, afin de pouvoir exposer à leurs compatriotes le canon bouddhique tel qu'il existe dans l'Ecole du Sud, vingt-cinq siècles après le nirvâna du Bouddha.

On ne saurait donc mettre en doute ou nier le fait que, au cours de ses quatorze premières années d'existence, la Société Théosophique ait réussi, dans une mesure dépassant toute attente, à réaliser les deux premiers de ses trois buts déclarés. Elle a donné la preuve que ni race, ni croyance, ni couleur, ni vieilles antipathies n'étaient des obstacles insurmontables à la diffusion de l'idée d'altruisme et de fraternité humaine, même si cela a pu passer pour un rêve utopique aux yeux de théoriciens considérant l'homme comme un problème purement physique, en ignorant son soi intérieur, plus élevé et plus vaste. 


III. Occultisme

Bien qu'une minorité seulement de nos membres aient des dispositions mystiques, la clef de tous nos succès, tels qu'ils ont été énumérés ci-dessus, tient, en réalité, à ce que nous reconnaissons l'existence effective du Soi Supérieur ― qui est sans couleur et cosmopolite, non sectaire et sans sexe, sans contingence terrestre et altruiste ― et à ce que nous accomplissons notre œuvre sur cette base. Pour le séculariste matérialiste, l'agnostique, le pseudo-savant, de tels résultats auraient été hors de toute atteinte ― bien plus, ils auraient été impensables.

Les sociétés pacifistes sont utopiques pour la raison qu'aucune espèce d'argument basé sur des considérations exotériques de morale sociale, ou de convenance, n'est capable de détourner le cœur des chefs des nations de guerres égoïstes et de projets de conquête.

Les différenciations sociales ― qui résultent des évolutions physiques et de l'environnement matériel ―engendrent des haines raciales et des antipathies sectaires et sociales qui sont insurmontables si on attaque les problèmes de l'extérieur. Mais puisque la nature humaine est toujours identique, tous les hommes sont également ouverts à des influences qui se concentrent sur le « cœur » humain et font appel à l'intuition humaine ; et puisqu'il n'existe qu'une seule Vérité Absolue ― et en cela se trouvent l'âme et la vie de toutes les croyances des hommes ― il est possible de contracter une alliance réciproque en vue de rechercher et répandre cette Vérité fondamentale. Nous savons qu'un terme très large pour désigner cette Vérité Éternelle est la « Doctrine Secrète » : nous l'avons prêchée (Note 5), et avons obtenu une audience ; jusqu'à un certain point nous avons balayé les vieilles barrières, formé notre noyau de fraternité et, en redonnant vie à la littérature aryenne, nous avons fait se répandre, parmi les nations les plus éloignées, ses précieux enseignements religieux, philosophiques et scientifiques.

Si, dans notre Société, nous n'avons pas ouvert de vraies écoles pour former des adeptes, nous avons du moins mis en avant un certain nombre de preuves confirmant l'existence des adeptes et la nécessité logique de l'adeptat dans l'ordre naturel du développement humain : Ce faisant, nous avons aidé l'Occident à envisager un idéal plus digne de potentialités de l'homme que celui qu'il possédait auparavant. L'étude de la psychologie orientale a donné à cet Occident la clef de certains mystères jusque là déconcertants, comme, par exemple, dans le domaine du mesmérisme ou de l'hypnotisme, et dans celui des soi-disant rapports posthumes entre l'entité humaine désincarnée et les vivants. Elle a également fourni une théorie expliquant la nature et les relations propres de la Force et de la Matière, susceptible d'être vérifiée pratiquement par quiconque peut être à même d'apprendre et de suivre les méthodes expérimentales des Écoles orientales de science occulte. Notre propre expérience nous amène à dire que cette science, avec la philosophie qui la complète, fait la lumière sur certains des problèmes les plus profonds concernant l'homme et la nature, en permettant de combler ce qui, en science, constitue le fameux « gouffre infranchissable » (Note 6), en rendant possible, en philosophie, de formuler une théorie conséquente de l'origine et de la destinée des corps célestes, avec tout ce qu'ils produisent de règnes et de plans divers. Là où Mr Crookes est arrêté dans sa recherche des méta-éléments, et se trouve incapable de découvrir la trace des atomes manquants dans son hypothétique série septuple, la philosophie de l'Advaita entre en scène avec sa théorie très élaborée de l'évolution de la matière différenciée (Prakriti) à partir de l'indifférenciée (Mûlaprakriti) ― la « racine sans racine ».

Avec la présente publication de la Clef de la Théosophie (Note 7), un ouvrage nouveau, expliquant clairement, et en un langage simple et sans détours, ce que croit notre Théosophie ésotérique, et ce qu'elle ne croit pas ― et rejette positivement ― il n'y aura plus aucun prétexte pour nous lancer à la figure des accusations fantastiques. Désormais, les « correspondants » des feuilles hebdomadaires, spirites et autres, tout comme ceux qui affligent les quotidiens respectables de leurs dénonciations de prétendus « dogmes des théosophes », qui n'ont jamais existé en dehors de la tête de nos accusateurs, devront prouver ce qu'ils nous imputent, en citant chapitres et paragraphes de nos publications théosophiques, en particulier de la Clef de la Théosophie.

Ils ne pourront pas plaider l'ignorance ; et, s'ils s'entêtent à dénoncer, ils devront le faire sur l'autorité de ce qui se trouve énoncé dans ce livre, vu que chacun a maintenant une occasion facile qui lui est offerte d'apprendre notre philosophie.

Pour terminer, notre Société a fait plus, en ses quatorze années d'existence, pour familiariser les penseurs occidentaux avec la grande pensée aryenne, et sa source de découvertes, qu'aucun autre organisme au cours des dix-neuf siècles écoulés. Ce qu'elle est susceptible d'accomplir dans l'avenir ne peut être dit à l'avance, mais l'expérience justifie l'espoir qu'elle puisse faire beaucoup et qu'elle élargisse encore le champ déjà vaste de son activité utile.

H.P. Blavatsky


Notes :

(1) [Le « Congrès national indien » réuni pour la première fois à Bombay, en décembre 1885 avec Allan Octavia Hume, son principal fondateur, un Anglais qui avait été étroitement lié à la Société Théosophique en Inde.] [Retour texte]

(2) [En français dans le texte original]  [Retour texte]

(3) [Les drapeaux que l'on voit encore aujourd'hui dans les pagodes en Orient présentent, dans la dernière bande, une combinaison des cinq mêmes couleurs, ordonnées de bas en haut du bleu au vermillon.]  [Retour texte]

(4) [Ce mot, répandu à partir de la seconde moitié du 19e siècle, renvoie à l'athéisme des penseurs qui, dans la pratique, excluent l'hypothèse d'un Dieu et de tout état posthume, pour expliquer l'univers et l'homme.]  [Retour texte]

(5) [Voir en particulier l'œuvre de Mme Blavatsky (publiée en 1888) qui porte précisément ce titre.]  [Retour texte]

(6) [L'expression « impassable chasm » est du savant John Tyndall. Mme Blav.atsky l'a utilisée comme titre du 12e chapitre (1er volume) de son œuvre Isis Unveiled (=Isis dévoilée). Ce « gouffre infranchissable » renvoie au mystère des rapports inexplicables, pour la science, entre matière et conscience.]  [Retour texte]

(7) [Ouvrage publié en anglais sous le titre The Key to Theosophy, en juillet 1887, c'est à dire deux mois avant la parution du présent article.]  [Retour texte]


[Traduction de l'article « Our Three abjects », publié sous la signature de Mme Blavatsky dans la revueLucifer, vo1.V n°25, septembre 1889, pp.1-7. Cet article est édité dans le Cahier Théosophique n°172, © Textes Théosophiques, Paris] 

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